Vivre ou se divertir
Le divertissement est devenue une industrie. Il draine dans son sillage des millions d’emplois, certes, mais aussi un bilan carbone désastreux au vu de ce qu’il coûte en énergies diverses, un épuisement neuronal de créateurs sommés d’inventer en flux tendu, une telle proportion d’imbécillités diverses qu’on en oublie vite les quelques pépites échappées du barnum par miracle, et une occupation du temps de l’espace, et donc du cerveau, proche de l’invasion. Le ludique s’impose comme le nouvel impératif, de l’école aux loisirs, du travail à la vie de famille, de la sexualité à la santé : il faut s’a-mu-ser. La vie serait-elle donc un jeu ? Le temps de notre vie, notre histoire personnelle, serait-elle une longue recréation où l’on passerait d’un jeu à l’autre, gambadant dans la cour du monde en chantonnant, dans l’insouciance permanente, juste obsédé par la peur de l’ennui et du temps mort ? Je ne le crois pas. Je crois que la re- création n’est savoureuse que lorsqu’elle rythme une vie de création : création de soi, des liens avec le monde et les autres, création de richesses affectives, matérielles, artistiques, intellectuelles, etc. Créer dans le mouvement même d’avoir à naître à soi-même. Cela est une joie, la source même de toute joie. Or, toutes les sagesses du monde en font le constat, d’expérience, cela ne se fait pas sans douleur. C’est pourquoi on a besoin de temps gratuits et ludiques, de jeux, de respirations. Non pas pour nous divertir de l’essentiel, bien au contraire, mais pour nous refaire les forces afin de nous y tenir toujours à nouveau. Parce qu’on puise à cet essentiel toute la saveur de la vie. Celle qu’aucun divertissement, aussi sophistiqué qu’il puisse être, ne peut apporter. Cette saveur-là ne s’achète pas.
Marie-Christine Bernard
novembre 2011