L’appel des bois
Prise dans la circulation mouillée de ce jour de pluie citadine, les pieds heurtés par le macadam à n’en plus finir, tous les sens agressés par le déversement ininterrompu des invites à consommer, la foule anonyme de toute part, et, accessoirement, les merdes de chien sur les trottoirs… : le cadre est cadrant, bien en place, habituel, banal. Je vis depuis des jours dans ce bain bruyant, aveuglé, agité. Au fond de moi, pourtant, tout au fond, s’est déposé au début de mon histoire de vie, ce qui me permet de tenir aujourd’hui dans cette folie des villes : les bois sauvages, à perte de vue, au cœur de ma Bourgogne. J’y marchais des heures durant, dans la solitude et le silence, par des sentiers à peine esquissés, qu’il fallait deviner, parfois perdus, parfois à faire. Des bois qui respiraient le calme et la bonté. Le temps des randonnées en troupeaux déodorisés n’était pas encore venu. N’étaient à craindre ni les pervers, ni les chiens mal élevés, ni les agression mécaniques. Je ne croisais que quelque gibier vivant sa vie sans plus de souci, parfois des forestiers au travail, rarement les chasseurs que j’évitais soigneusement. Je me délectais dans cette plongée végétale en marchant d’un pas rapide, souple, heureux. J’avais le sentiment de me nourrir. Aujourd’hui, je sais ces espaces troués de constructions, de routes, de loisirs, de balises, plus ou moins envahis de hordes bavardes, inattentives et déchêteuses. Debout dans cette ville arrogante de béton et de saleté, je pleure.
Octobre 2010
Marie-Christine Bernard