Voleurs

A parler autour de moi du cambriolage dont ma maison a été l’objet, j’ai soudain pris conscience de deux choses : beaucoup ont été victimes de la même mésaventure, au point que je me demande si l’on ne s’achemine pas vers une société où une moitié de la population volerait l’autre moitié ; la seconde, c’est qu’on peut être victime d’un vol avec effraction même quand on ne possède rien de valeur, ce qui est mon cas. Et pourtant, la perte de mon ordinateur de travail, d’un dossier important, les traces de pas dans ma maison, les placards ouverts, mis en désordre, l’idée que ça laisse d’une possibilité de nuisance morale et professionnelle, tout cela m’a atteinte plus que je ne l’aurais pensé. Me voilà contrainte de m’intéresser aux systèmes d’alarme, de surveillance, de flicage. Ma colère ne va même pas au voleur. Avec lui, j’aimerais m’asseoir autour d’un café, pour tenter de comprendre où il en est, ce qu’il veut, ce qu’il cherche, s’il compte vivre toute sa vie en parasite, au risque de quelques séjours sous les verrous ; j’aimerais qu’il m’ôte le soupçon qu’il pourrait n’être qu’un délinquant voyou, sans morale, sans scrupule, sans honte. Ma colère va contre l’allure débile que prend notre vie sociale. J’ai connu le temps où l’on vivait les portes ouvertes, les vélos passaient la nuit dehors sans cadenas, les clefs restaient sur les tableaux de bord. Les vols existaient mais pas dans une telle proportion. Et puis les riches en étaient les cibles privilégiées, ce qui répondait à un certaine logique, à défaut d’être défendable moralement. Mais sous nos yeux, ce sont aujourd’hui des vols crapuleux, petits bras, qui disent juste ceci : l’autre devient ennemi potentiel, comme aux temps barbares. Mais comment vivre sans l’a priori de confiance qui est le socle de toute relation, de toute vie ensemble ?
Marie-Christine Bernard
janvier 2012