Vivre humainement, c’est, entre autres choses, faire des choix. A travers eux se manifestent nos préférences. Dans la conscience de chacun et qui n’engage que chacun en conscience, une hiérarchie s’établit que l’on peut qualifier de valeurs, une hiérarchie de valeurs donc.

Tant que les choix se portent sur le type de pain ou de yaourt, sur une marque de chaussures ou de lunettes, sur les vacances à la mer ou à la montagne, l’expression de cet art de préférer, qui est liberté en actes, passe sans bruit. Quand ils se portent sur des familles politiques, c’est déjà plus sportif à gérer dans des débats contradictoires.
Mais quand ils expriment des préférences en matière philosophique ou religieuse, cela devient épineux. Parce que préférer, c’est quand même manifester qu’un autre courant, une autre tradition, tout légitimes et respectables qu’ils puissent être, sont considérés du point de vue du sujet dont la préférence porte sur un autre courant, une autre tradition, comme moins valables.
Cette préférence peut –doit ? – s’accompagner d’une large tolérance à l’égard de qui pense autrement, et de non-violence dans les rencontres. N’empêche. Le message en creux est bien celui-là : je choisis ce que je préfère, et je ne préfère pas toujours comme l’autre, loin s’en faut. Ma préférence porte forcément une part de critique implicite.
Or, depuis quelques temps, il semble que cet autre réagisse en qualifiant de …- phobe qui ne partage pas sa préférence à lui. Autrement dit : « soit tu es d’accord avec moi, soit tu es mon ennemi. Et dans ce cas, j’ai la légitimité de te faire taire ».
L’échange d’arguments, apaisé, la recherche des conditions les meilleures pour vivre ensemble, l’attachement viscéral à la fraternité, autant de traits qui font – ou devraient faire – la fierté d’un pays démocratique comme le nôtre, semblent disparaître des têtes web-formatées…
La dictature de la pensée étant la première marche de toute dictature politique, cet état de fait est très, très inquiétant.

Marie-Christine Bernard
Février 2014