Friche
Nous changeons de culture, (de civilisation ?) c’est un fait. La rupture qui s’opère, n’est pas que de forme, elle est cassure, sur le fond. Comme si nous étions propulsés hors d’un continent, non sans brutalité, par la force de nouvelles manières d’être, de vivre, de se comprendre, d’être en lien… Nous voilà depuis une vingtaine d’années maintenant requis tout entier à tenter de prendre pied dans un ailleurs qu’il n’est pas certain que nous ayons choisi. Nous voici citadins, même à la campagne, même agriculteurs. Nous dépendons tous du super-marché et du frigo. Nous voici liés par des techniques sophistiquées dont, dans le meilleur des cas, nous ne maîtrisons que l’utilisation. Nous voici captés sans répit dans une avalanche d’informations, de sons, d’images, de bruit, d’excitations. Se concentrer, laisser le temps au temps, fixer sa pensée sur une idée pour la laisser donner tout son jus, retenir son attention sur une personne pour l’accueillir sans l’amputer, se laisser surprendre et savourer de l’être…. Tout cela n’est pas seulement devenu difficile. Il semble que ce soit devenu indésirable. Surfer d’une chose à l’autre au gré des envies apparaît le summum du fun et le fun se suffit à lui-même. Tout est bon, à portée de main, de clic, pour éviter de durer dans quelque chose d’ « autre » que son soi narcissique. Il en ressort une désinvolture, une superficialité, une inconscience de ses manques, de ses lacunes, de ses soifs, absolument sidérantes. La première génération née – j’ose à peine dire « formée » – dans ce climat arrive sur le marché de l’emploi. On y trouve des personnes formidables. Mais aussi une bonne part de l’humanité de l’humain en friche, comme en friche industrielle.
février- mars 2012
Marie-Christine Bernard