C’est ainsi
Ma grand-mère m’a appris à me servir d’une faux. C’était au siècle dernier, au milieu des années 70.
Je me revois à l’action au matin d’une journée qui s’annonçait belle, printanière, le grand panier d’osier posé dans le champ de luzerne juste derrière le clapier, sous des pommiers sauvages. J’avais fini par intérioriser le geste qui permettait de couper l’herbe sans excès d’effort.
Je n’étais plus une enfant, je devais avoir une quinzaine d’années et je me souviens très bien d’avoir eu conscience à la fois de ma chance et de la fin d’un monde. Je me souviens parfaitement du bien-être dans lequel j’étais, de l’air frais, des odeurs, du silence.
C’était le temps où il pouvait se passer des journées entières sans qu’on entende le moindre bruit de moteur : ni tondeuse, ni tronçonneuse, ni voiture, ni avion, ni tracteur. Car si tout cela existait déjà, cela pouvait encore rester coi. Le réflexe était celui de la marche à pied et de l’engagement du corps.
Les journées étaient rythmées par le travail à faire, accompli avec constance, mais sans stress, sur fond d’un art de vivre le quotidien comme le meilleur endroit où se sentir bien.
On se tenait debout dans la vie.
Les jours de fête étaient accueillis sans bouder les plaisirs d’une bonne table et d’une belle tablée.
Les jours d’épreuves traversés avec courage.
Tout cela dans une foi tranquille, sans religiosité, sans revendication identitaire, juste teintée d’un zeste de léger anti-cléricalisme goguenard et bon-enfant.
C’était en France.
C’est le pays d’où je viens.
Il n’existe plus.
Est-ce un bien est-ce un mal ?
C’est ainsi.
Marie-Christine Bernard
Février 2016